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27 septembre 2012

Ce que « Le Monde » dit et ne dit pas sur l’Argentine

par Mario Rapoport *

 

Toutes les versions de cet article : [Español] [français]

Au cours des derniers mois, en juin et août de cette année, l’un des quotidiens français les plus prestigieux, Le Monde , a publié divers articles sur l’Argentine. Il semble intéressant de reproduire certains de leurs concepts pour avoir un regard externe à propos de notre réalité. Dans l’un d’eux, du 25 juin, on signale que « Le miracle argentin était en trope l’oeil » et que « dix ans, après avoir rejeté une partie de sa dette, le pays n’a pas accès au marché de capitaux ». Mais, selon mon jugement, le plus important est quand il dit que « la Grèce serait mal avisée de s’inspirer de ce précédent ».

Ces phrases, tirées de titres et sous-titres expliquent vers où conduit l’article, certes assez développé : il n’est pas dirigé vers l’ Argentine mais a pour objet d’avertir la Grèce de ce qu’elle ne doit pas faire. Dans un autre article du même quotidien, le gouverneur de la banque de la France exprime clairement que « la volonté d’autonomie des États de l’Euro-zone doit s’effacer » (Le Monde, le 29 juin 2012). La Grèce ne peut d’aucune façon sortir de l’euro, retourner à la drachme, dévaluer sa monnaie et rejeter sa dette comme l’a fait l’Argentine, pour qui cela s’est terminé – selon les auteurs du premier article – assez mal. Certes, elle s’est désendettée, a développé ses exportations et a connu des taux de croissance élevés durant plusieurs années, quelque chose qu’ils attribuent à un hasard, aux prix élevés du soja ; sans mentionner la réindustrialisassions, ni la relance du marché interne, des salaires, de l’activité ou des retraites. Ni la chance qu’a eue le FMI de pouvoir recouvrer sa dette.

En vérité, l’article que nous commentons du 25 juin raconte de façon pas très ordonnée la trajectoire argentine des dernières décennies. Il part du fait de comparer les contrôles sur le dollar et les mesures protectionnistes de l’actuel gouvernement avec la crise de 2001 et signale le malaise de beaucoup face au processus inflationniste et l’apparition d’un dollar parallèle. A cette époque, il faut le rappeler, la crise affectait à la majorité de la population et les manifestations qu’elle a suscité, avaient lieu pour d’autres raisons et contre un autre gouvernement, dont les responsables ne sont pas nommés par l’article, pas plus qu’il ne mentionne les politiques qui ont mené à cette crise, la plus profonde de l’histoire argentine. Le FMI, dont les auteurs de l’article affirment que beaucoup d’argentins l’appelaient le Fonds de la Misère Internationale, était celui qui dictait les politiques économiques d’alors comme maintenant il dicte le nouveau plan économique grec. Il est possible qu’à l’avenir les grecs le rebaptisent aussi avec ce nom.

En citant deux ex-banquiers centraux latino-américains qui pointent l’objectif en disant que « l’expérience argentine devrait plus dissuader que stimuler de suivre une telle voie », l’article continue d’essayer de démythifier ce qu’il appelle le « miracle argentin ». Après avoir affirmé qu’on n’a pas fini de payer les coûts de la crise de 2001, il se demande si ce : « ne serait pas pourquoi le miracle argentin a coûté cher au pays ? Très cher. Avant que l’économie reparte, le PIB est tombé de 20%, l’année du défaut de paiement, et l’inflation était de 23% [...] la dévaluation massive a ruiné épargnants et entreprises, et plus de la moitié de la population est tombée sous le seuil de pauvreté ».

Il se permet de supposer, sans doute, qu’en Grèce surviendrait la même chose et ne mentionne pas comment il a fallu arriver à cette extrémité, parce qu’en 2001, quand l’épargne des argentins a été vraiment expropriée par le « corralito », la dette extérieure surpassait largement le PIB et le chômage et la pauvreté dévastaient déjà le pays. Le Produit n’est pas tombé en un an de 20% par la dévaluation, mais à la suite de politiques qui l’ont endetté et ont offert ses principaux actifs, en détruisant l’emploi et en provoquant la désindustrialisation et la destruction de l’appareil productif. Un processus qui a commencé avec le terrorisme de l’État de la dictature militaire en 1976 et a été approfondi par les derniers gouvernements démocratiques de la décennie 90. Tous sous la supervision de ce Fonds de la Misère Internationale que l’article mentionne. Quelque chose de semblable à ce qui se passe maintenant dans beaucoup de pays européens et en premier lieu en Grèce.

Rappelons que tout cela est arrivé quand l’Argentine avait un plein accès aux marchés internationaux de capitaux, à une époque où Michel Camdessus, président de l’époque du Fonds mentionné, félicitait un président argentin parce que le pays avait rejoint le Premier Monde. Personne ne pensait alors que tout était basé sur une parité avec le dollar insoutenable, peut-être semblable à la situation actuelle de beaucoup de pays de l’Euro-zone, qui ne remplissaient pas les conditions requises pour y entrer , sauf, comme dans le cas grec, grâce aux manœuvres illicites de Goldman-Sachs expert dans cette question, comme nous raconte Galbraith, depuis la crise de 1929. On peut rappeler de plus aux auteurs de l’article que l’Argentine n’a pas rejeté sa dette comme ils le signalent, elle a seulement appelé les créanciers à un échange de la dite dette, et dont une partie était une dette odieuse, provenant d’une sanglante dictature militaire. En résumé, sur la question de l’accès aux marchés de capitaux, nous devons reconnaître que pour l’ Argentine cela a mal fini quand elle y a fait appel, bien qu’elle fut ensuite félicitée pour sa conduite et maintenant est notée « D ».

Le deuxième sujet est celui du protectionnisme, auquel se réfère plus longuement un autre article du même quotidien le 24 août et qui est titré « Le protectionnisme argentin est attaqué de plus en plus par ses partenaires de l’OMC ». Tout cela parce que l’Argentine porte plainte pour qu’on ne lui interdise pas l’entrée de viandes et de citrons aux États-Unis, tandis qu’elle applique des mesures protectionnistes, ce que le journaliste définit de façon alarmiste, peu dans le style du quotidien prestigieux, comme « une nouvelle escalade dans la guerre commerciale qui oppose l’Argentine au reste de monde ».

Dans la crise actuelle , qui a commencé aux États-Unis et en Europe et qui touche surtout le monde développé, beaucoup d’économistes et d’hommes politiques préconisent déjà le retour au protectionnisme pour fuir les finances internationales et leur piège et pour protéger les productions nationales. En tout cas, il est nécessaire de changer les règles du jeu du commerce international, où les seuls qui peuvent être protectionnistes sont les pays riches. Demandons alors, si la Politique agraire Commune de l’UE a été supprimée. Ou si le protectionnisme n’a pas aussi été permanent dans la politique des États-Unis depuis son indépendance jusqu’au presque milieu du XXe siècle (et continue à l’être pour plusieurs de ses produits agraires à travers des subventions). La même chose est arrivée pendant la crise des années trente, dans la politique de nombreux pays, y compris la championne du libre-échange, la Grande-Bretagne, et les gouvernements conservateurs, idéologiquement libéraux, de l’Argentine d’alors. Cela ne constitue pas en soi une politique d’enfermement économique ; c’est la crise mondiale qui pousse aux pays dans ce sens.

Si les deux articles sont alarmants, avec bien sûr un écho en Argentine, nous devrions leur dire que ce qu’ils nous demandent nous l’avons déjà eu, et que l’expropriation de l’économie, réalisée plusieurs fois par les gouvernements militaires et civils – grâce aux inflations, hyperinflations, plans Bonex ou lois de convertibilité – ont peu à voir avec le contrôle des changes, que cela ne signifie aucune expropriation sauf pour ceux qui le comparent , se voyant empêchés dans la fuite des capitaux. Les investisseurs étrangers ne voudront pas venir en Argentine, mais ils ne se sont jamais plaints des grands profit et des bénéfices qu’ils ont envoyés à leurs pays respectifs, dont parmi eux une entreprise qui s’appelle Repsol.

Tout indique que ce qu’on veut, c’est de revenir à la même Europe au capitalisme du XIXe siècle et tout exemple dans le sens contraire leur fait un peu mal. Mais cela va leur faire davantage mal quand les « indignés » se débarrasseront sérieusement du piège dans lequel ils sont tombés, depuis les « subprime » jusqu’à la perte de leurs emplois. En ce qui concerne les argentins, peut-être certains rappellent avec une fureur égale les 500 millions de dollars qu’ils ont confiés au gentleman Bernard Madoff, billets verts qui ne verront jamais plus, ou qu’ils ont investi dans des propriétés désormais dévalorisées de Miami ou des côtes espagnoles, vrais chants de sirène.

* Économiste et historien

Página 12. Buenos Aires, le 26 septembre 2012.

Traduit de l’espagnol pour El Correo par : Estelle et Carlos Debiasi

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Lire aussi :

 Comment les États-Unis financent des organes de la presse mondiale pour acheter une influence médiatique. de Jeremy Bigwood.

El Correo. Paris, 27 septembre 2012.

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