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4 octobre 2002

"Ce qu’on déteste, c’est l’arrogance de l’Amérique", un entretien avec Ziauddin Sardar

 

L’écrivain britannique Ziauddin Sardar publie avec Merryl Wyn Davies « Pourquoi le monde déteste-t-il l’Amérique ? ». Il donne ici quelques éléments de réponse.

Par Arezki Metref

Quelles sont les raisons pour lesquelles on détesterait l’Amérique ?
Ziauddin Sardar : Nous concluons cet ouvrage en recensant quatre raisons principales. La première est existentielle. Les États-Unis rendent la vie difficile aux autres peuples. Leur pouvoir leur permet de structurer l’économie mondiale de façon à s’enrichir sans cesse, réduisant les populations non occidentales à la pire pauvreté. Ils contrôlent le FMI, la Banque mondiale, l’OMC. L’Amérique ôte le pain de la bouche des pays du tiers-monde. L’existence même - physique, politique, culturelle - est devenue un problème pour eux. Les États-Unis en sont responsables : c’est déjà une raison pour être détestés.

La deuxième raison est cosmologique. Les États-Unis sont devenus une hyperpuissance, un pouvoir présent partout dans le monde. Rien ne se passe quelque part sans qu’ils y soient. La paix est impossible au Proche-Orient sans eux. Il ne peut y avoir d’accord entre l’Inde et le Pakistan sans que les États-Unis s’en mêlent. Étant donc la première puissance au monde, les États-Unis donnent l’impression d’avoir le pouvoir cosmologique. Dotés d’un tel pouvoir, ils deviennent arrogants. Ce que les gens détestent, c’est moins le pouvoir des États-Unis sur le monde que l’arrogance qui l’accompagne. Ce qui dérange, c’est que les États-Unis font ce qu’ils veulent partout sans tenir compte de l’avis du reste du monde.

La troisième raison est ontologique. Elle touche à la nature même de l’être. Le bien et le mal sont opposés. Les États-Unis appliquent à leurs relations cette logique d’opposition. Les « terroristes » incarnent le mal. Ils sont l’« axe du mal », ce qui sous-entend que les États-Unis sont, eux, « l’axe du bien ». L’Amérique est uniquement bonne et vertueuse. Mais pour les autres, se réclamer du bien puis commettre le mal n’est pas très vertueux.

La quatrième raison tient à la terminologie. L’Amérique se donne le droit de définir ce que sont la démocratie, la justice, les droits de l’homme, le multiculturalisme, qui est « intégriste », qui est « terroriste », ce qui représente le « mal ». Tout le monde - y compris l’Europe - doit accepter ces postulats. Mais ces définitions sont bien sûr intéressées. Les droits de l’homme, par exemple, sont définis en fonction des besoins de la politique extérieure américaine, qui porte un double message. D’une part, on laisse entendre que le respect des droits de l’homme est l’affaire des autres mais pas des États-Unis eux-mêmes ; et d’autre part, les pays en voie de développement doivent comprendre qu’il faut adopter la politique économique préconisée par les Américains, même au détriment des droits de l’homme.

Le « syndrome du hamburger » est le concept par lequel vous décrivez l’exportation des États-Unis. De quoi s’agit-il ?

Un hamburger se présente comme un tout. Vous l’avez acheté comme un tout et vous le mangez comme un tout. Vous pouvez enlever le cornichon, la rondelle de tomate ou la feuille de laitue, vous n’enlevez pas le fait que vous avez acheté tout cela ensemble et que vous prenez le tout.

L’influence et les actes de l’Amérique ressemblent au hamburger. Quelles que soient les voies par lesquelles le reste de la planète appréhende l’Amérique, elles renvoient toutes à la même logique. Ces voies sont interdépendantes : politique intérieure et extérieure, opérations militaires, activité des services de renseignements, produits culturels, médias, produits de consommation, style de vie, entreprises et sociétés, institutions d’aide et organisations non gouvernementales, institutions éducatives... Tout cela entre dans la réalité concrète du hamburger qui est désormais partout dans le monde, comme le symbole concentré de l’Amérique. Et comme le hamburger, l’Amérique se compose d’un certain nombre d’ingrédients distincts, mais ces derniers ne sont là que pour former l’État le plus puissant du monde.

Vous dites que la société américaine ne sait pas ce qui se passe dans le monde. Vous désignez cette ignorance par un paradoxe : « l’ignorance bien informée ».

Il y a deux ou trois manières pour les gens de savoir ce qui se passe. Les personnes instruites, qui ont été à l’université par exemple, ont appris uniquement sur leur pays. Dans les universités américaines, on parle très peu de ce qui se passe dans le reste du monde. Tout ce que les Américains savent du monde se rapporte à la politique étrangère des États-Unis. Il y a que les États-Unis pour organiser un championnat du monde de base-ball alors que ce sport n’est joué nulle part en dehors de chez eux ! Il se passe la même chose avec l’information sur le reste du monde. Le mieux pour savoir ce qui se passe chez les autres, c’est de voir leurs films, d’écouter leur musique, de s’intéresser à leurs histoires, à leur culture. Aux États-Unis, on voit des films américains, jamais étrangers, on écoute de la musique américaine, jamais étrangère. En revanche, les Américains trouveraient anormal que, dans les autres pays, on méconnaisse leur cinéma, leur musique, etc.

« L’ignorance bien informée » est cette connaissance erronée et décalée qu’ont les Américains du reste du monde, des gens, des idées, des civilisations, des religions, des histoires, et l’adhésion obstinée à ces notions quand on dispose des moyens de les réviser. La puissance des médias américains ferme la population à la compréhension et aux idées du reste du monde, renforçant l’insularité, l’égocentrisme et l’ignorance qui constituent le problème majeur rencontré par les autres pays de la planète dans leurs rapports avec l’Amérique.

Lire la suite dans Politis n° 719

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