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28 janvier 2003

Aguas Argentinas - Suez-Lyonnaise des Eaux : les contrats en question.

par Alex Nikichuk

 

Ce texte a été inspiré en bonne partie par l’article sur le sujet paru dans Le Monde Diplomatique local d’août 2001, signé par Nana Bevillaqua, médiatrice de la Nation, par un rapport de l’Union de Défense de Consommateurs de Rosario, et par des notes personnelles.

L’Argentine est un état fédéral, comportant 23 provinces, chacune dotée de son propre gouvernement, ses propres assemblées parlementaires et régime fiscal. Chaque province est dirigée par un gouverneur, héritier direct des « caudillos » du 19e siècle et seigneurs de guerre de l’époque.

La gestion de l’eau était assurée par un organisme national avec des délégations locales : Obras Sanitarias.

Sur le plan purement local, la gestion de l’eau est le plus souvent assurée par des coopératives.

La privatisation des services de l’eau a concerné seulement trois provinces : Buenos Aires, Santa Fe et Cordoba, les plus peuplées, et la capital fédéral Buenos Aires, à ne pas confondre avec la province du même nom ; d’où l’appellation « Capital » lorsqu’on en fait mention.

Il est difficile de décrire la situation de l’Eau en Argentine tant les intervenants sont divers et variés.

Ces intervenants sont :
 L’état par l’organisme Obras Sanitarias.
 L’opérateur financier Banco de Galicia
 Les gouverneurs des provinces de Buenos Aires, Santa Fe et Cordoba.
 Des administrateurs spécifiques mis en fonction par le gouvernement central mais étroitement liés aux Partis Justicialiste (anciennement péroniste) et Radical.
 Des représentants des syndicats de l’entreprise qui plus tard, deviendront actionnaires de la Lyonnaise des Eaux.
 Le personnage clé dans les négociations, la ministre justicialiste et néanmoins ultra-libéral Maria Julia Alzogaray, aujourd’hui objet des « sollicitations » de la justice argentine, et auteure de dispositions législatives en faveur de l’entreprise concédée.
 Le groupe financier Soldati, chargé de « huiler » toutes les phases de la négociation
 et la Lyonnaise des Eaux-Suez, entreprise ayant bénéficié de la concession sous le nom de Aguas Argentinas Société Anonyme (AASA).

Les années 90 est la décennie des privatisations de tous les services publics argentins, sous l’impulsion décisive de l’ancien président Carlos Menem, issu du Parti Justicialiste, dans un contexte économique ultra-libéral et du libre-échangisme le plus débridé.

Ainsi ont été privatisés la Compagnie nationale du pétrole (YPF) vendue à Repsol, le téléphone vendu pour moitié à France Télécom et pour l’autre moitié à Telefonica espagnole, de l’énergie électrique dont 80% de la capitale concédée à l’EDF, de la compagnie aérienne nationale vendue à Ibéria.

C’est aussi la période de la dollarisation de l’économie, un dollar USA étant égal à un peso monnaie nationale.

Les services sanitaires argentins ont vécu des périodes successives de privatisations et nationalisations, pour culminer par la privatisation des années 90.

Le processus de privatisation commence par la décentralisation de Obras Sanitarias dans les trois provinces citées.

Des lois édictées dans ces provinces privatisent les délégations locales de Obras Sanitarias ouvrant ainsi la porte a la privatisation définitive.

Cette privatisation a été facilitée aussi par la médiocre qualité du service offert par l’entreprise étatique, caractérisée par de mauvaises relations avec les usagers, non réponse aux réclamations, des problèmes historiques de pression de l’eau, extension des réseaux sans aucune planification d’ensemble, utilisation politique de l’entreprise par les gouvernements du moment.

A ce stade l’action du Banco de Galicia a été déterminante ; l’arrivée de la Lyonnaise des Eaux se produit alors en 1993 dans la Capital et une bonne partie de la province de Buenos Aires (10 millions d’habitants concernés), en 1995 dans 15 villes de la province de Santa Fe (2 millions d’habitants) et en 1998, dans la capital de la province de Cordoba (1 million d’habitants).

Ces 13 millions d’habitants constituent alors le plus grand marché de l’eau du monde.

Il est à remarquer la faillite de la régulation économique des services publics que l’état se devait d’exercer ; la concession de la Lyonnaise des Eaux pour l’eau potable et les eaux usées, représente le summum des engagements non tenus, de violations systématiques des clauses contractuelles, des procédés arbitraires développés à l’encontre des usagers, entraînant comme corollaire des bénéfices financiers exorbitants pour l’entreprise concédée, oeuvrant dans une situation de total monopole.

Le non-respect des engagements contractuels

Un premier contrat a été signé pour la période 1993-1998.

Ce non-respect est observable sur deux plans :
 a)surévaluation des prix et des tarifs, et
 b)rupture de l’équilibre environnemental de la région desservie par l’entreprise.

En premier lieu la concession a pu être obtenue par une soumission de prix inférieure de 26,9% au prix de référence fixée par l’entreprise d’état. Cette concession fut accordée à titre gratuit, à savoir sans payer des droits pour les infrastructures existantes.

Cette gratuité correspondait à l’obligation faite à l’entreprise d’invertir 1300 millions de pesos (ou de dollars, l’équivalence était la parité à l’époque), d’élargir le service d’eau potable à 1 331 000 d’usagers et le service des eaux usées à 929 000 usagers.

A la fin de la période un premier bilan fait apparaître que seulement 630 000 nouveaux usagers ont accédé à l’eau potable et 112 000 pour les eaux usées.

Le contrat initial prévoyant le maintien du même tarif pendant dix ans. En fait, celui-ci a augmenté de 45% de 1993 à 2001.

Le tarif initial que les nouveaux usagers devaient payer pour le développement de l’infrastructure, a été augmenté de 42% pour la même période. Les usagers devaient aussi acquitter un montant de 126 pesos pendant 30 mois à la souscription du contrat.

Des super-bénéfices

Cette politique de facturation et de sur-facturation des services produit une incrémentation considérable des bénéfices de l’entreprise, non répercuté comme il était normal de le faire selon le droit argentin, sur les tarifs, afin d’établir le nécessaire équilibre entre les coûts, les bénéfices et la facture finale.

Il est utile de rapprocher les chiffres suivants :
augmentation des bénéfices de 43% entre 1994 et 1998, de 68% entre 1998 et 1999, alors que le nombre d’usagers connectés a augmenté de 20,7% et 31,5% respectivement.

Le taux de bénéfice net sur ventes a atteint ainsi 8,7% en 1994, 27,6% en 1999, alors qu’il est de 6% environ pour les USA, Grande Bretagne et la France.

L’extension du réseau et l’environnement

Le réseau d’évacuation des eaux usées était en surcharge par manque de développement en relation avec l’augmentation de la population, ce qui produisait un reflux des eaux usées à travers des puisards et le système d’égouts, établissant ainsi un déséquilibre hydrique et une contamination de la nappe souterraine. L’entreprise s’était engagée à effectuer les études ainsi que les ouvrages nécessaires pour remédier à cette situation.

A la fin de la période 93-98, le déficit de réalisation a atteint 80% par rapport aux prévisions. Il avait été notamment prévu la construction d’une importante station d’épuration à proximité de la ville de Bérazategui, engagement non tenu pour un montant de 747 millions de pesos, ce qui n’a fait qu’aggraver le problème sanitaire
évoqué plus haut.

Des procédés arbitraires

L’entreprise a inventé un procédé original pour la facturation de la fourniture d’eau : au m² de surface habité, surtout pour les logements ne comportant pas de compteur d’eau. Ce principe a ouvert la porte à des abus innombrables, beaucoup d’habitants payant pour une eau qu’ils ne consomment pas.

Victimes de la crise qui sévit en Argentine, beaucoup d’usagers ne payent pas la facture d’eau, subissent la suspension du service d’eau potable et du service d’eaux usées tout en continuant la facturation du service ! En 1999, 1500 usagers ont subi cette situation, ce qui a produit un gain de 6 millions de pesos pour l’entreprise.

Encore plus pour l’entreprise

La Secrétaire d’Etat aux Ressources naturelles et au Développement Soutenable Maria Julia Alzogaray a contribué fortement dans le favorisement des intérêts de l’entreprise à travers différents actes réglementaires, décrets, résolutions ministérielles, limitant son risque financier, passant outre au non-respect des engagements et validant en quelque sorte les super-bénéfices produits.

Elle a justifié de manière arbitraire l’ajournement de la construction de la station de Berazategui, malgré l’avis contraire de la Banque Mondial qui considérait indispensable sa construction.

Le nouveau contrat pour la période 1999-2004 prévoit l’ajustement des tarifs en fonction des coûts d’exploitation introduisant un facteur d’actualisation des tarifs en fonction de l’inflation aux USA.

Le nouveau contrat prévoit l’extension du réseau d’égouts pour 130 km², financés de la manière suivante : 60 km² financés par une augmentation cumulative de 3,9% par an, 50 km² par les propriétaires riverains, et 20 km² par la diminution d’impôts accordée à l’entreprise.

Nous voyons ici qu’une société pauvre finance obligatoirement les investissements d’une multinationale qui opère avec des taux de rentabilité extrêmement élevés.

Madame Alzogaray est entre les mains de la justice, en particulier devant son impossibilité de justifier l’origine des sommes nécessaires à l’achat d’un appartement sur Central Park à New York.

En guise de conclusion

Le non respect à hauteur de 80% des engagements, l’ajournement de la station de Berazategui, les inondations produites par un développement anarchique du réseau, l’impact sur l’environnement, montrent le haut degré de responsabilité de l’entreprise qui a adopté un comportement prédateur sur l’économie locale.

L’environnement est atteint car il y a déversement directe dans les rivières des eaux usées, contaminant au passage la nappe phréatique.

Cette situation est aggravée par le laisser aller de l’Etat qui se trouve en pleine déliquescence, et qui a permis à l’entreprise d’engranger des bénéfices excessifs en totale impunité.

Les conditions sont réunies pour une résiliation pure et simple du contrat de concession, mais qui prendra l’initiative d’un tel acte juridique justifié par le non-respect des engagements souscrits et les dégâts très importants occasionnés à l’environnement ?

(Groupe de travail sur l’eau d’ATTAC France)Contact pour cet article : eau@attac.org

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