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Le boom du soja et ses conséquences
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Au sein de la production agricole et de l’élevage argentin un nouvel assaut des industries transnationales existe contre les petites économies paysannes. Un regard depuis le département Hipólito Irigoyen, cœur de la production du soja de l’Argentine.
Par l’équipe d’enquête d’APM (*)
Depuis Henderson, Argentine, 15 novembre 2007.
Depuis quelques années, l’agriculture argentine est connu par les prix élevés des commodities [1] agricoles, le boom du soja [transgénique], les taxes à l’exportation sur l’élevage et sa faible rentabilité ; aussi la demande croissante d’aliments et le développement d’une chaîne alimentaire qui est devenue très attrayante pour les investissements étrangères.
Bien que la production agricole depuis plus d’une décennie se trouve controversée, l’Argentine se trouve liée à elle étant donné qu’elle a été depuis son origine une nation riche, par la fertilité et par les caractéristiques naturelles de ses champs.
Au XXIe siècle, le besoin urgent qu’ont les pays développés de modifier leur schéma énergétique basé sur des combustibles fossiles, a donné un lieu à l’apogée des agrocombustibles.
Devant l’incapacité, de produire une matière première pour approvisionner leurs marchés locaux, les pays du soi-disant « Premier Monde » déplacent la responsabilité d’assurer leurs besoins de consommation vers les sous-développés. Le G8 (Groupe des 8 pays les plus riches du monde) a demandé à la Banque Mondiale (BM) qu’elle octroie des crédits pour appuyer le développement de ce type de cultures dans les pays d’Amérique du Sud.
La structure agricole du monde change rapidement à la suite de la fièvre pour les agrocombustibles. Les États-Unis sont l’un des principaux acteurs du marché agricole international, par le volume de leurs importations et exportations.
Dans ce sens, l’un des plus clairs échantillons de la logique perverse du capitalisme est la poussée qui est donnée à la production industrielle d’agrocombustibles, principalement d’éthanol et de biodiesel, par les gouvernements et les entreprises transnationales
Cette alternative se présente comme un remplaçant du pétrole (un combustible polluant et non renouvelable). De plus, on la pressent comme la solution magique pour freiner le réchauffement de l’atmosphère.
Carlos Borniego, Ingénieur Agronome de Henderson (une localité argentine du département de Hipólito Irigoyen), s’est exprimé à ce sujet : "je ne crois pas que l’on puisse parler d’agrocombustibles dans le monde comme la solution au problème des combustibles, mais ils apparaissent comme un palliatif qui est politiquement poussé par les États-Unis, comme puissance mondiale, pour générer une source alternative de combustible, une stratégie pour pouvoir devenir indépendant des pays du Golfe".
Le département vu de l’intérieur
Henderson, département de Hipólito Yrigoyen, se trouve situé dans la zone ouest de la Province de Buenos Aires, et compte une population d’environ 8.000 habitants en zone urbaine ; et autour de 9.500 pour le District.
Le territoire fait une partie de la région de la pampa, la production agricole et l’élevage étant la plus grande source d’exploitation et de travail. Le District s’étend sur 166.000 hectares, dont selon des données enregistrées par le Recensement National Agricole de 2002, 135.000 sont destinés à l’activité agricole. Sur ce chiffre, 80.000 est dédié à l’élevage et au reste, l’agriculture (plus de 60 %).
Depuis 1980 la région agricole la plus fertile du territoire national, ce qu’on appelle la pampa humide, présente une forte érosion du sol. Selon "l’Institut National de Technologie Agricole" (INTA), environ la moitié des 5 millions d’hectares est affectée par un processus remarquable d’érosion qui occasionne la chute des rendements de ces terres pour, au moins, un tiers d’ entre elles.
Pour essayer de résoudre ce problème, les agriculteurs ont commencé à expérimenter le système de "culture zéro" - consistant à semer directement des graines dans la terre, sans besoin de retourner la terre ni aucune autre forme de labour-, se trouvant avec l’inconvénient de ne pas pouvoir contrôler les mauvaises herbes.
"C’est la solution idéale. Le sol ne perd pas en nutriments comme avant, dommage que tous ne peuvent accéder à ce bienfait compte tenu de ses coûts", a affirmé l’Ingénieur agronome César Spagnuolo, chargé de l’INTA du Bureau de Henderson.
L’espace rural a perdu ses caractéristiques naturelles par les modifications profondes dues à l’intervention de l’homme. Celui-ci est destiné à la production agricole et secondairement à l’élevage, l’exploitation forestière et minière. Ces activités permettent de satisfaire la production d’aliments et d’énergie. Les grands producteurs agricoles font des investissements plus importants et ont réussi à moderniser et transformer en introduisant de nouvelles technologies pour augmenter la productivité. Occupent beaucoup d’hectares, utilisent l’arrosage artificiel et peuvent contrôler les prix du marché.
Actuellement le sol agricole est surexploité par les entreprises transnationales. Depuis plus d’une décennie l’avance des » grands » est manifeste devant les petits propriétaires. "Plusieurs ont vendu ou loué leurs propriétés et ont émigré à la ville, les champs sont restés dépeuplés et dans les mains de grands capitalistes ou de locataires intéressés seulement à la production céréalière. Je me demande ce qui va se passer avec ces gens et leurs enfants si un jour le soja arrête d’être rentable", accuse Spagnuolo.
En même temps, les petits et moyens producteurs sont plus défavorisés puisqu’ils ne peuvent pas intégrer de nouvelles technologies, ils possèdent moins d’hectares, leur capitale est peu abondant, ils satisfont seulement le marché interne et ont une productivité moindre. Leurs terres sont abimées, la qualité de leurs produits est moindre, avec des revenus peu abondants et une main d’œuvre familial.
En même temps, les céréales de la zone aptes à la production d’agrocombustibles sont le soja, le tournesol, le maïs et le colza, bien que cette dernière ne soit pas si courante. Les sources consultées ont aussi averti de l’avènement du colza comme une céréale compétitive à l’heure où on parle de cette "nouvelle source d’énergie".
Le début d’une dévastation annoncée
Le soja a dépeuplé la campagne parce qu’il a établi un modèle d’agriculture sans agriculteurs. La décision d’étendre les monocultures ne se justifie pas seulement en termes de d’affaires, puisque les chiffres de croissance macro économique n’entraînent pas d’amélioration des conditions de vie de la majorité, mais l’enrichissement démesuré de quelques uns et de leurs alliés transnationaux.
Le boom du soja s’est déjà installé dans la zone. Selon des données apportées par le Secrétariat à l’Agriculture, l’Élevage et la Pêche, sur la récolte 2006 et 2007, 45.000 hectares de soja ont été semés dans le département de Hipólito Yrigoyen ; pendant ce temps, entre 12 et 15.000 hectares ont été destinés au blé, 5.000 au maïs et 2.000 au tournesol.
La monoculture du soja a plusieurs conséquences. Selon Carlos Borniego, elles pourraient se classer en conséquences productives et économiques. "Dans les productives, la tendance à la monoculture a pour risques l’augmentation des mauvaises herbes, des fléaux et des maladies liées fondamentalement à la culture de soja. Étant donné que le producteur ne n’attaque pas à celles -ci , il ne les éradique pas et ainsi il y a plus de mauvaises herbes dans la Pampa Humide. En ce qui concerne l’économique on génère la dépendance à une seule culture ce qui met l’économie du producteur agricole dans une situation de fragilité devant des questions politiques, environnementales et de marché. Si le soja arrête d’être rentable, dans la région, nous allons être attachés à un seul facteur économique qui nous soutient", a-t-il affirmé.
De plus, a-t-il ajouté "tant que le soja continue de donner de bons résultats économiques, il n’y aura pas de problèmes. Cependant, en tant que conseillers nous ne pouvons pas regarder à court terme : nous devons nous projeter".
Se référant au même sujet, Spagnuolo a affirmé que le soja "provoque une perte de structure et une porosité du sol, l’augmentation de sa solidification, la diminution de la matière organique, une capacité plus faible de rétention d’eau, plus de risques d’érosion, des sols plus durs, la difficulté de la plante pour prendre racine et le déséquilibre de nutriments". Pour finir, il a ajouté que l’alternative pour résoudre cette question, pourrait être "de remettre ce qui est perdu par la récolte (au sujet du phosphore, calcium, azote et autres protéines et minerais). Le soja représente plus de 70 % de l’indice de récolte et des chaumes, au lieu d’être destinés au sol, ils se brûlent.
Comme conséquence de "l’asservissement" au soja, l’élevage a perdu du terrain. Selon le vétérinaire Dr. Roberto Ruíz du Bureau de SENASA (un Service National de Santé Animale), à Hipólito Yrigoyen, la taux d’abattage des vaches est élevé "grâce au désintéressement de quelques producteurs de poursuivre cette activité". Le stock d’élevage du département est plus de 110 000 bovins.
La recolonisation de l’agriculture argentine
La Souveraineté Alimentaire est le droit des communautés à définir leurs politiques agricoles, de pêche et d’élevage qui sont adaptées à leurs propres circonstances. Cela inclut le droit à l’alimentation et à la production d’aliments. C’est aussi une culture, une identité et une option de vie, et, par conséquent, à un niveau gouvernemental, cela exige les décisions politiques qui garantissent le droit de nous bien nourrir.
C’est le capitalisme, composé par les grandes transnationales et les entrepreneurs, le grand "ennemi" qu’a actuellement l’Amérique Latine et le responsable de toutes ses pénuries.
Ces grandes corporations détruisent la biodiversité, contaminent les biens naturels comme l’eau, mènent à la disparition de la flore et de la faune et à la contamination de graines du pays. Par conséquent, l’extinction de communautés et de villages entiers. Tant Borniego e que Spagnuolo estiment que la Souveraineté Alimentaire est une dette non soldée tant au niveau National, Provincial que local.
La décision d’étendre les monocultures ne peut pas être exclusivement justifiée dans des termes d’affaires, puisque les chiffres de croissance macro économique ne signifient pas d’amélioration des conditions de vie de la majorité, mais l’enrichissement démesuré d’une couche sociale limitée et de ses alliés transnationaux.
Pour garantir la souveraineté alimentaire, il est nécessaire qu’il existe la promotion et la récupération des pratiques et des technologies traditionnelles, qui assurent la conservation de la biodiversité et la protection de la production locale et nationale. Un composant basique est de garantir l’accès à l’eau, la terre, aux recours génétiques et aux marchés justes et équitables avec l’appui du gouvernement et de la société.
Vers une nouvelle politique agricole
Le manque de politiques stratégiques qui stimulent le développement de la production agricole, ouvre le chemin vers le déchaînement d’un processus de croissance fondé sur la sur exploitation des richesses naturelles du pays.
Par conséquent, il est nécessaire d’utiliser de nouveaux instruments, comme les économies les plus développées le font. C’est-à-dire, appliquer les outils de l’économie écologique et des technologies durables pour produire, pour protéger, pour régler et distribuer les bienfaits des ressources naturelles, qui sont la responsabilité de toute la société et pas seulement d’un secteur spécifique.
Il est urgent de reconnaître la valeur des nutriments des sols argentins et d’empêcher leur extraction gratuite au moyen de l’application d’instruments de régulation et de contrôle durable. De cette façon, on obtiendrait la protection et la régulation de l’atmosphère.
C’est pourquoi il est fondamental de pratiquer une politique qui privilégie l’agriculture paysanne de petite et moyenne échelle. Ces systèmes présentent un plus grand degré de productivité, tendent à la conservation de l’atmosphère et jouent un rôle clef dans la souveraineté alimentaire. Pour cela il faudra mettre l’accent sur les marchés locaux et nationaux.
Dans ce scénario les agrocombustibles constituent un projet de recolonisation impériale, à travers un nouvel assaut des industries transnationales contre les économies paysannes et la souveraineté alimentaire.
L’équipe d’enquête est formée par Gonzalo Crespo, Silvana Díaz, Myrian Garciari, Maria de la Paz Rubio, Silvia Salas et Silvia Páiz, élèves du Séminaire " Journalisme dans les Scènes Politiques Latino-américaines" qui participe actuellement à l’Agence Journalistique du Mercosur (APM) à la Faculté du Journalisme et la Communication Sociale de l’UNLP, de Henderson (une région grande productrice de soja de la Province du Buenos Aires.
Traduction de l’espagnol pour El Correo : Estelle et Carlos Debiasi
Notes :
[1] Matières premières cotées en bourse